Courrier envoyé hier à M. Nicolas Sarkozy, en espérant que ça ne se noie pas complètement dans le flot campagnard électoraliste...
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Le 10 avril 2012
Monsieur le Président de la République,
En 2012, l'autisme est « grande cause nationale ». Nous souhaitons donc vous faire part de notre expérience concrète en la matière, loin de toute
législation théorique et effets de manches stériles des débats électoraux. Il nous semble en effet que les ambitions affichées il y a 5 ans, lors de la précédente campagne électorale, sont loin
d'avoir eu les répercussions concrètes espérées.
Notre lettre a pour objectif de clairement vous montrer :
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les diverses carences majeures rencontrées dans la prise en charge et les suivis liés à l'autisme, tant au niveau des soins médicaux, comportementaux et
cognitifs qu'à l'échelle de l'Education Nationale ; carences qui obligent à effectuer ces prises en charge nous-mêmes à titre individuel,
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la situation financière dramatique qui en découle, et les dysfonctionnements administratifs répétés qui l'aggravent régulièrement. Situation qui motive
aujourd'hui ce courrier.
Notre fils de 12 ans est atteint d'un syndrome d'Asperger, forme d'autisme dite « de haut niveau » (c'est-à-dire sans déficience intellectuelle et, de
fait, il est également un « enfant précoce »). Son diagnostic a dû être posé à Paris, puisqu'il n'existait pas, il y a 5 ans lors de son diagnostic tardif après une errance de plusieurs
années, de professionnel qualifié dans notre région (la Basse-Normandie).
Tout d'abord, concernant la scolarisation, la loi de 2005 sur l'intégration de tous les handicaps n'a tout simplement pas été applicable dans la réalité pour
son cas.
En 2008, lors de son entrée en 6ème avec deux années scolaires d'avance, notre fils a été harcelé, maltraité par d'autres enfants, dans l'indifférence des adultes
responsables qui n'ont pas jugé utile de répondre à nos demandes (y compris écrites) d'intervention pour faire cesser ce harcèlement, qui a parfois mis sa sécurité en danger. Notre fils en a été
gravement traumatisé, et nous avons dû le scolariser à domicile en urgence dès le mois d'octobre, puis le mettre sous neuroleptiques durant un an tant son traumatisme sévère entraînait de
désordres psychologiques et de violence. Une tentative de rescolarisation l'année suivante s'est soldée rapidement par un échec, aucune adaptation n'ayant été mise en place et n'étant prévue
malgré nos demandes. Les personnels de l'Education Nationale ont reconnu eux-mêmes n'avoir « rien à proposer » à notre fils en matière de scolarisation, malgré quelques bonnes volontés
individuelles. Il était pourtant inscrit dans l'établissement le plus à même, dans tous l'ouest français, de le recevoir...
Depuis, il est donc instruit en famille, ainsi que la loi le permet (art.L131-2 du code de l'éducation), même si ça n'était ni notre choix ni le sien. L'expérience
montre qu'en l'état actuel du système scolaire, ce mode d'instruction est effectivement, de fait, le plus adapté et le plus efficace, tant socialement qu'académiquement.
Par ailleurs, nous avons essayé de trouver des professionnels susceptibles de le suivre et de nous aider à le faire progresser, et en avons trouvé
dans un premier temps, en libéral et dans un CRA (Centre Ressources Autisme). Malheureusement, aujourd'hui nos moyens ne nous permettent plus de faire appel aux professionnels libéraux, et
l'équipe du CRA intervenant à l'époque est entièrement partie.
Outre qu'il faut de nombreux appels et énormément de patience pour obtenir un rendez-vous dans un centre pris en charge par l'Etat, nous nous sommes rendu compte
qu'il était inutile ensuite de compter sur leur présence : promesses de rappel jamais tenues, même après relance(s) auprès du CRA ; après rendez-vous finalement obtenu, promesses d'aide ponctuelle sur tel ou tel point précis jamais tenues non plus ; refus de suivi plus
régulier ; inadéquation des prises en charge proposées au CMPP, etc.
Il n'a donc plus aucun suivi depuis maintenant deux ans. Nous devons assurer seuls son instruction et ses progrès, nous former comme nous le pouvons de notre propre
chef, avec l'aide d'associations privées, etc.
Une autre de nos enfants est « suspectée » d'autisme de haut niveau. La tentative récente de scolarisation a été, pour elle également, un échec. Afin
d'obtenir un diagnostic, nous avons, il y a quelques mois, contacté le CRA local (Caen), qui a refusé de la recevoir en raison de son trop jeune âge (4 ans ½) et nous a orientés vers un autre
centre de dépistage, qui ne la recevra pas non plus puisqu'il est réservé aux 0-3 ans.
Les conséquences pratiques de cet état de fait sont, avant tout, des situations personnelle, professionnelle et financière dramatiques.
En 2008, mon mari a arrêté de travailler pour consacrer son temps à notre fils, qui nécessitait une présence constante et un accompagnement d'instruction
incompatible avec un autre emploi à plein temps. En raison de cet arrêt, l'entreprise familiale a périclité, et n'a plus permis de nous procurer des revenus suffisants pour permettre à la famille
(nous avons également deux autres enfants plus jeunes) d'en vivre.
En 2010, après deux ans à réussir à maintenir notre entreprise en activité malgré tout, j'ai été contrainte d'arrêter, moi aussi, de travailler. L'entreprise
familiale, depuis, a été liquidée, pendant que mon époux cherchait (et cherche encore activement) un autre emploi, salarié.
Nous avons demandé une reconnaissance de handicap pour notre fils, que nous avons obtenue en 2008 rapidement et dans d'excellentes conditions auprès de la MDPH de
Caen. Une AEEH (allocation d'éducation d'enfant handicapé) et son complément nous ont été accordés et se montent actuellement à 689,62 euros par mois. Ceci pour compenser la perte totale d'emploi
(assortie d'une interdiction de toute autre activité, même à domicile, même à temps partiel) ET financer intégralement les soins nécessaires à un bon accompagnement de l'autisme.
Inutile de préciser que cette double ambition est incompatible avec de tels moyens...
N'ayant pas droit aux allocations chômage puisque nous étions travailleurs indépendants, nous avons vécu quelque temps grâce à nos économies. Quand celles-ci ont été
épuisées, en septembre 2010, nous avons demandé un complément RSA, pour assurer le quotidien le temps de trouver un emploi pour mon époux.
Étrangement, l'AEEH, normalement destinée à l'accompagnement de l'enfant, a été traitée comme un revenu familial ordinaire lors du calcul d'un RSA !!! Ce RSA se monte donc à 553,37 euros par mois, après réévaluation à la hausse en
février 2012, pour 5 personnes.
Soit, monsieur le Président, un total de 1693,63 euros de revenus totaux quand tout va bien, en comptant les allocations familiales et le complément familial. Très
largement en-dessous du seuil de pauvreté défini par l'INSEE.
N'oublions pas qu'à l'origine de cette nécessité de se « faire assister » comme aiment à le répéter certains politiciens, il n'y a pas un choix de notre part,
loin s'en faut, mais bel et bien le non respect de la loi par les services de l'Education Nationale, et l'obligation légale, pour nous, d'y pallier !! (art.L131-1 du code de l'éducation).
Nous nous trouvons actuellement dans une situation où monsieur, âgé de plus de 50 ans, doit trouver un emploi alors que son CV comporte un « trou »
(pendant lequel il avait officiellement le statut d'aidant familial pour notre fils), rédhibitoire pour bien des employeurs. Les dépenses liées à la recherche d'emploi sont conséquentes pour un
petit budget (à titre indicatif, plus de 200 euros dépensés en déplacements pour entretiens, etc., le mois dernier). Passons sous silence l' « aide » qu'apporte le Pôle Emploi, où
un entretien dure moins de 5 minutes et consiste à constater la pénurie d'emploi...
Nos revenus sont donc totalement dépendants de l'administration, du bon vouloir du Conseil Général du Calvados, et de la vitesse de traitement des
dossiers. Ce qui occasionne parfois des ruptures aux conséquences catastrophiques.
Ainsi, cet été, une lettre nous informait de l'accord de RSA pour mon mari jusqu'au 31 août 2012 en l'absence de changement de situation. Fin février dernier, une
lettre m'informait de l'accord pour 12 mois du Conseil Général du Calvados pour continuer à percevoir le RSA me concernant.
Pourtant,
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En novembre 2011, la CAF (caisse d'allocations familiales, qui verse le RSA) nous demande une attestation bancaire arrêtée au 31 décembre 2011.
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Contactée en janvier 2012, notre banque nous informe que cette attestation ne sera disponible que fin février et nous fournit une attestation provisoire
partielle.
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Le 31 janvier, nous recevons de la CAF une nouvelle demande d'attestation bancaire au 31 décembre à fournir avant le 29 février.
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Par lettre datée du 28 février (soit un jour avant l'expiration du délai), la CAF nous informe de la décision déjà prise du Conseil Général de suspendre le RSA
immédiatement.
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Entre temps (le 2 mars), nous avions envoyé les documents enfin reçus de la banque.
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Le 8 mars, nous contactons par téléphone la CAF, on nous confirme alors la bonne réception du dernier volet manquant de l'attestation, et on nous assure que le
RSA ne sera finalement pas interrompu.
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Début avril, nous constatons que :
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le RSA n'a pas été viré,
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sur le site de la CAF, les documents envoyés le 2 mars, qu'on nous avait confirmé comme reçus le 8, sont notés « reçu le 20 ».
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Contactée le 10 avril, la CAF nous renvoie vers le Conseil Général, à qui l'attestation a été transmise le 20 (soit environ 2 semaines après sa réception ! La
CAF nous avait pourtant habitués jusque là à un service administratif particulièrement performant et humain).
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Au Conseil Général, on nous répond qu'une commission va statuer, qu'il faut compter trois semaines à un mois d'attente. La personne contactée ajoute que nous
avons des « placements », sous-entendant que nous n'avons donc
pas besoin du RSA (qui nous a pourtant été attribué !), et que rien ne justifie de raccourcir les délais de traitement.
Nous voici donc désormais de nouveau avec un revenu exhaustif de 1140,27 euros mensuels pour 5 personnes (228 euros/personne), allocations familiales
comprises.
Cette somme ne permet en aucun cas de vivre en mangeant à sa faim et en assurant les frais incompressibles légalement obligatoires ou humainement indispensables
(assurances, électricité, eau, dépenses impératives de santé -qui n'incluent les soins ni dentaires ni ophtalmologiques, etc., auxquels nous avons renoncé bien qu'ayant tous, dans la famille,
besoin de lunettes, par exemple). Autant dire que tous les soins et suivis nécessaires à une bonne prise en charge de l'autisme de notre fils ont été, eux aussi, malheureusement, depuis longtemps
oubliés, tant la question quotidienne cruciale est de savoir comment réussir à nourrir et instruire nos enfants... Même l'essence (puisqu'il n'y a pas de transports collectifs là où nous
habitons) pour se rendre à ces suivis ne serait, de toute façon, plus dans nos moyens !
Nous souhaitons donc, Monsieur le Président, par cette lettre, vous faire « toucher du doigt » la réalité concrète des conséquences d'un autisme pourtant
réputé « léger » sur une famille dans notre pays aujourd'hui :
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une carence manifeste des services de l'Etat concernant d'éventuelles prises en charge thérapeutiques appropriées, malgré une reconnaissance officielle de
handicap (et nous tenons ici à bien souligner notre satisfaction des prestations et de la qualité relationnelle avec la MDPH locale),
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une impossibilité apparente d'appliquer la loi d'intégration scolaire de 2005 dans les établissements publics et/ou sous contrat avec l'Education
Nationale,
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un empêchement d'utiliser l'AEEH aux fins spécifiques pour lesquelles elle a été prévue,
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aucun appui logistique des services de l'Etat pour la recherche d'emploi,
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des dysfonctionnements administratifs répétés entraînant de graves conséquences sur le budget familial de « survie »,
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aucun recours concret d'aucune sorte pour faire face à cette situation ubuesque qui perdure et se renouvelle régulièrement.
Voilà, Monsieur le Président, le vrai visage de ce qui se passe pour les familles avec un enfant atteint d'autisme en France actuellement. Voilà la réalité concrète
de l'usage que l'Etat nous contraint à faire d'une aide qui devrait être consacrée à l'enfant handicapé et uniquement à lui, pour lui permettre de progresser et d'aller vers une autonomie de vie.
Voilà comment les services administratifs, concrètement, traitent les plus fragiles et ferment de fait les portes d'un avenir autonome, nous contraignant à pallier ces déficits. Voilà comment les
familles sont livrées à elles-mêmes pour faire progresser leurs enfants malgré les obstacles administratifs et pécuniaires.
Pourtant, beaucoup de nos concitoyens imaginent encore que notre pays offre pléthore de structures adaptées aux enfants handicapés. Il nous semble qu'il est temps de
déciller et de faire connaître la vraie condition des enfants autistes.
Nous osons donc espérer que la notion de « grande cause nationale » pour l'autisme cette année ne sera pas vaine et sans conséquence pour les situations
dramatiques comme la nôtre, qui n'est malheureusement pas rare.
Nous osons espérer que les services de l'État ne feront plus honte à notre pays en donnant, malgré toutes les bonnes volontés individuelles, l'apparence de lutter
contre les citoyens au lieu d'œuvrer à l'égalité de traitement de tous et au respect des personnes autistes, conformément à la Constitution et à nos lois, qui restent trop souvent purement
théoriques.
Dans l'espoir d'une réponse constructive de votre part, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, nos salutations distinguées.
M. & Mme C.
Copies à : Monsieur le Premier Ministre, Ministère des solidarités et de la cohésion sociale, Conseil Général du Calvados, Monsieur le député Daniel
Fasquelle ; rédaction des médias : Rue 89, Le Monde, Marianne, Le Parisien, Le Figaro, L'Express, Libération, Le Canard Enchaîné, TF1, France 2, France 3, Médiapart, Ouest France, France Inter,
RTL, Europe 1 ; associations : Autisme France, Autisme Basse-Normandie, Vaincre l'autisme ; copies en circulation sur Facebook et blogs.
notes :