L'histoire : ou plutôt, les trois histoires.
D'abord, un gardien de vache naïf et bourru qui trouve un cadavre qu'il pense être celui de sa patronne, qui l'a recueuilli enfant et l'exploite depuis, mais le trouve en même temps qu'un maître
chanteur qui vit dans un vieux blockhaus. Ensuite, la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant entre 1064 et 1066, ses coulisses puis ses suites. Enfin, les recherches historiques
d'un instituteur un brin coincé et d'un comte dégénéré, physiquement flippant, qui empaille tout ce qu'il trouve... Ces trois histoires qui se trouveront bientôt imbriquées les unes aux autres et
y trouveront leur dénouement.
Mon avis : un chouette livre avec une bonne intrigue et une géniale galerie de portraits !
Au début, après un chapitre ou deux, j'ai bien cru que je n'allais pas le lire. Les personnages sont criants de vérité : majoritairement bêtes, méchants et intéressés ou minoritairement gentils et méfiants comme les gens d'ici, je n'étais pas certaine d'avoir envie de les cotoyer aussi dans mes lectures. Pourtant, j'avais volontairement choisi ce livre qui se passe dans le Bessin, et parle entre autre de cette tapisserie que j'adore... Finalement, je l'ai terminé et je ne regrette vraiment pas tant je me suis complètement laissée prendre par l'histoire. Et puis quel bonheur de retrouver toute l'aventure de Guillaume à Hastings (ce que raconte la tapisserie que je voyais comme se dérouler devant moi en lisant). Le côté policier tient la route, j'ai trouvé le dénouement formidable, même si son récit m'a paru un peu trop rapide. L'ambiance du Bessin y est très bien décrite, j'aurais presque senti l'humidité permanente qui imprègne tout... En bref, un excellent livre, à dévorer même quand on n'habite pas le Bessin et qu'on n'est pas amoureux de la Tapisserie de Bayeux !
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Feuilletons ensemble quelques extraits...
incipit : "Allez presse Kinoise ou la Yolande va encore m'engueuler !"
page 13 : Le ccrépuscule et la pluie rendaient l'horizon de plus en plus incertain. A chaque éclair, les silhouettes des arbres dessinaient l'épouvante. Le froid s'exhalait du sol en vapeurs laiteuses estompant au loin les contours de la ferme. Bientôt on n'y verrait plus rien. Lulu adorait ça ! La nature devenait son alliée, étouffant les bruits en les imprégnant d'une entité humide, dissimulant les collets qu'il tendait çà et là. Kinoise dodelinait de la tête comme saoulée des parfums de la pluie, seul le bruit des sabots dans les flaques soulignait la réalité.
page 104 : La Deuxième Guerre Mondiale fait partie des gênes normands comme pour d'autres, une malformation. Les cimetières militaires sont autant de balises dans ce département martyr qui partent toutes des pontons d'Arromanches. Les musées de guerre, d'épaves, le Mémorial de Caen, martèlent s'il en est encore besoin que cette terre avait, il y a peu, été labourée par toutes les nations du monde en conclusion de la folie hitlérienne.
page 111 : Il adore ces heures où tout dort encore et où l'imbécilité de ses congénères est enfouie avec eux sous leur couette.
page 146 : Cette nuit comme toutes les nuits je n'ai rien remarqué parce que vous savez je prends des somnifères depuis cinquante ans.
C'est le Débarquement qui m'aurait fait comme un choc, que m'a dit le docteur, notez y'a pas qu'à moi, à Hitler aussi !
page 181 : Les feux de l'actualité embrasaient déjà d'autres scandales qui, accélérant le rythme hallucinant des éditions, élargiraient du même coup le sourire carnassier des actionnaires bien pensants.
page 187 : [...] Aline imaginait le sort de ces malheureux qui, il y a dix siècles, subissaient comme toujours la folie des puissants.
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j'y ai appris le mot anglais Housecarle.
Une faute vue vers la fin (bien !! ça devient rare d'en croiser si peu), pas mal d'erreurs de ponctuation, mais rien de gênant pour la lecture.
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Le Mystère de la Tapisserie inachevée, François Vallet, 2012, 194 pages