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4 mars 2012 7 04 /03 /mars /2012 07:36

livre_2012_03_gautier_vieilles.jpgL'histoire : dans le paisible village de Le Trou, on profite de 365 jours de soleil par an. Résultat : à peine en retraite, tout le monde s'y précipite, et quand une nouvelle arrivante a 60 ans, elle passe pour une jeunette. Suivons donc Mme Rousse, Mme Rouby, Pierre Martin auréolé de gloire dans son short bleu, Mme Chiffe et quelques autres avant qu'un astéroïde au doux nom de Bonvent leur tombe sur la tête...

 

Mon avis : on m'avait dit d'un air dépité et déçu, quand je l'ai emprunté, "c'est plein de clichés". Certes. Mais des clichés super pêchus, tournés de manière marrante, très moqueuse, parfois tendre et compréhensive parfois acide, toujours avec un petit air de ne pas y toucher, une fausse objectivité très savoureuse, et mine de rien ou frontalement, une analyse décapante de notre société ridicule. Quelques pointes de poésie clins d'oeil, un peu de références basiques, des répétitions fréquentes qui créent des repères ou des décrochements absurdes (par exemples, "Pierre Martin auréolé de gloire dans son short bleu" est un genre de nom complet où "Pierre Martin" serait le surnom ; "Avant était l'âge merveilleux de leur jeunesse d'or" ponctue quelques chapitres, etc.), des chapitres bien structurés qui forment une impression de fouillis rangé comme un village, des scènes lentes pathétiques, d'autres vives désopilantes (le chapitre 27, j'en ris encore toute seule ! et pourtant je ne vous le retranscrit même pas tellement sinon il y en aurait trop !) et parfois on glisse de l'une à l'autre ; des personnages caricaturaux, sympas, poignants ou hilarants (aaaah Kevin, trop fort !!!), campés d'une bonne consistance en deux phrases, plantés dans la réalité. Dans chaque chapitre, on entre dans l'esprit du protagoniste du chapitre, on pense avec lui, ses petites phrases toutes faites qu'il/elle se sert pour mieux avancer ou stagner, ses petites justifications qu'il/elle ressasse, son passé, son présent, ses goûts, son bilan...

 

Bref : un livre de détente remarquable, bien construit, intelligent sans se la jouer, vraiment amusant (il n'aurait pas fallu qu'il soit plus long, je pense, on est vraiment au maximum de longueur possible sans se lasser dans le style). Distrayant, très très très distrayant, et réjouissant =^.^=

 

***

Feuilletons ensemble quelques extraits... (ça a été difficile de choisir tellement il y a de bons mots et de petites sorties bien senties...)

 

incipit : La télé est à fond. L'immeuble entier en profite.

 

page 38 : Elle aime son prochain, comme d'autres ne supportent personne. Elle, l'homme, elle n'arrive pas à le croire mauvais. Et pourtant elle voit bien que la situation n'est pas glorieuse et qu'à la longue, à force de chercher, on va finir par trouver.

 

page 45 : Au moins, quand il était là, elle pouvait le rendre responsable de tous ses maux.

 

page 61 (à la télé) : "Qu'est-ce que ça vous fait d'avoir cent ans ?

- Je suis en pleine forme. J'ai cent ans. Et je n'ai pas dit mon dernier mot.

- Vous aviez toute votre famille avec vous pour cet heureux évènement ?

- Ils étaient tous là, à l'exception de mon fils aîné qui est mort, et de mon fils numéro quatre qui est un imbécile.

- J'ai entendu dire que votre petite-fille, la première de vos nombreuses petites-filles, prenait aujourd'hui sa retraite...

- Voilà effectivement qui donne un vrai coup de vieux !"

 

page 62 : Un bruit de tuyauterie extravangante fait sursauter Paulette qui regarde autour d'elle et découvre que c'est Mme Rousse, là, qui vient de s'exprimer.

 

pages 62-63-64 (clic pour agrandir) : 

livre_2012_03_gautier_vieilles_extrait.jpg

 

page 93 : C'est drôle comme un jour on en a marre de sa progéniture. Les enfants sont plus enquiquinants que les étrangers parce qu'ils pensent avoir des droits sur vous.

 

page 98 : Mme Cointe souffle comme un phoque, sent l'alcool à trois kilomètre et transpire beaucoup. mme Cointe ne suit pas les régimes pour avoir el ventre plat sur la plage l'été. on dirait un tonneau moustachu aux yeux de biche.

 

page 99 : La télé est une drogue dure qui oeuvre à l'abrutissement des masses.

 

pages 107-108 : A l'écran, la caméra plonge dans le décolleté vertigineux de la présentatrice qui, les seins à l'air, chante les louanges de notre Président si courageux si actif si intelligent si beau, les seins palpitent , puis la caméra plonge sur les lèvres pulpeuses de la présentatrice qui poursuit, bouche béate, que notre Président s'occupe de tous les Français, qu'il est allé serrer la main d'un pêcheur, pourtant il ne les aime pas, les pêcheurs, mais il a pris sur lui, notre Président ! [...] Sur l'écran, le visage du Président apparaît. Il sourit comme il mord. Et annonce que le vaste chantier mis en place pour secouer le pays de sa léthargie catastrophique est enfin opérationnel. Il, Lui, Personnellement, est en train d'élaborer toutes les réformes nécessaires pour aider les plus riches des citoyens. Pour leur donner la sécurité, l'impunité et les moyens de s'en mettre encore plus, toujours plus ! Quant aux démunis qui, chaque jour, se reproduisent et se multiplient, il fera tout pour les appauvrir définitivement. Chacun à sa place ! On n'est pas pauvre par hasard. On l'est par nature ! Les pauvres sont des fainéants ou des étrangers. L'Etat est bien trop gentil avec eux. toutes ces allocations, toutes ces aides versées. Pour quoi ? Pour qui ? Pour rien ! Il va réduire les aides, il va réduire les fonctionnaires, il va réduire l'enseignement, il va réduire les hôpitaux, il va réduire entièrement le service public ! Réduire... Le Président luit. Il sourit comme il mord. [...] Faisons comme les Chinois ! Eux ne s'encombrent pas de savoirs non rentables. Voilà l'exemple magnifique d'une magnifique nation passée sans complexe du communisme le plus atroce au capitalisme le plus meurtrier !

 

page 109 : En bref dans le reste du monde : la centrale de Pétaouchnok n'avait en réalité aucun problème et a repris son activité ce matin, la grippe aviaire est à nos portes, le prix du baril de pétrole a doublé ce matin, le serial killer qui sévit dans notre capitale a encore frappé cette nuit, la terre a tremblé au Mexique, au Japon et en Chine, des pluies diluviennes tombent sans arrêt depuis quinze jours sur Londres, Copenhague et Moscou, un astéroïde qui se dirige droit sur la terre vient d'être repéré. Chers téléspectatrices et téléspectateurs, nous vous souhaitons une agréable journée !

 

page 127 : Les voleurs, c'est son angoisse numéro un. Il y en a qui viennent et qui repartent sans rien prendre. Elle le sait. Ca non plus, elle n'a pas intérêt à trop le dire. Mais les objets se déplacent. Elle les cherche tout le temps. Sa crème hydratante par exemple. Hier elle était encore dans la salle de bain à côté du lavabo. Elle la met toujours là. Aujourd'hui, introuvable. Elle ne s'en est pas servi, elle en est sûre. elle la cherche depuis ce matin. c'est encore un coup des voleurs. Ils sont malins. Ils font leur affaires en douce. C'est pour ça qu'elle préfère rester dans la maison. Pour surveiller. Elle ne met jamais la radio non plus. Un silence de mort règne dans les pièces. Elle est sûre de les entendre s'ils viennent. Il faut reconnaître que les nouveaux voleurs sont extrêmement silencieux. Sa peur redouble chaque jour.

 

page 128 : Elle se penche dans l'armoire pour prendre ses chaussures et trouve, sur les paires de bas qui gisent là, la crème hydratante qu'elle cherche depuis le matin. Elle regarde le tube comme la poule qui vient de trouver un couteau. Que fait cette crème dans ses bas ? Décidément, ces voleurs sont rusés. Elle prend le tube, ni une ni deux, et le range dns la boîte à cirage. Elle ferme l'armoire, chaussures à la main.

 

page 139 : Laissez Dieu tranquille, Maguy. Il n'existe pas.

 

pages 156-157 : Comment font les gens depuis toujours quand ils vont mourir ? Elle aimerait se raccorcher à quelque chose. C'est important, paraît-il. Elle envie soudain ceux qui ont la foi. Elle donnerait tout pour croire aussi. Ca doit être tellement rassurant d'être convaincu qu'une fois mort, on est enfin vivant. Quelle chance ils ont, tous ces croyants qui peuplent la planète ! Elle, elle n'a rien.

 

page 163 : Maman, je t'interdis de parler de Françoise comme tu l'as fait tout à l'heure ! éructe soudain Paul qui voudrait la tuer mais c'est sa mère dommage. 

 

pages 184-185 (on est chez Marcellin le boucher, pendant une vague de suicides) : La police, les pompiers, le Samu ne répondent plus. Des vieilles s'écrasent devant chez vous, et tout le monde s'en fout ! Il a fermé le magasin. il est écoeuré. Ce matin, il y en a deux qui sont tombées. Elles grimpent sur le toit de l'immeuble en face et sautent sur son trottoir. C'est dégoûtant. C'est impossible de vendre de la viande avec des macchabées devant sa vitrine. [...] Les cadavres d'humains, c'est pas son créneau.

 

page 210 : Elle aurait aimé écrire. Elle n'a jamais osé. Il doit falloir être particulier pour composer un poème. Forcément, on n'est pas comme les autres quand on fait des vers. Ses amies se sont toujours moquées d'elle quand elle leur parlait de ses lectures. Il y a bien d'autres chose sà faire que de s'abîmer les yeux à lire des sottises. Ce qui est écrit, c'est rien que des mensonges. Elle ne pense pas du tout ça, Béatrice, au contraire. Ce qui est écrit est bien plus vrai que tout ce qu'on voit à la télé par exemple.

 

*** 

j'ai appris un mot : prolégomènes (p.117), Robert me dit que c'est toujours au pluriel et que ça signifie ample préface et/ou principes préliminaires.

 

une seule faute relevée, p.132, une performance par les temps qui courent !

***

Les Vieilles, Pascale Gautier, 2010, 215 pages

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commentaires

Z
<br /> Ton article donne envie de le lire !<br />
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P
<br /> Je rêve de le lire surtout après ton avis et tes extraits , il faut que je descende absolument en ville ! Merci<br />
Répondre
P
<br /> Je rêve de le lire surtout après ton avis et tes extraits , il faut que je descende absolument en ville ! Merci<br />
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I
<br /> Excellent l'extrait page 62 ! Bon, là, on me vole le pc, mais il va falloir que je vienne rédécouvrir tout ça ! :)<br />
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C
<br /> Tu m'as donné envie de le lire.. ;) Cil<br />
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